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Lu pour vous : le rapport du CESE sur l’« Articulation des temps de vie professionnel et personnel : de nouveaux défis »

Photo du rédacteur: Suzy CanivencSuzy Canivenc
le rapport du CESE sur l’« Articulation des temps de vie professionnel et personnel : de nouveaux défis »
Référence du rapport [1]

L’Articulation des temps de vie est devenue une question brûlante depuis la crise sanitaire : la massification du télétravail et, plus largement, l’invasion du numérique dans nos vies (pro comme perso) mettent à mal le droit à la déconnexion, qui peine à sortir du Code du travail pour s’inscrire dans les faits. Ce rapport du CESE, qui s’appuie sur le recueil du point de vue de 10 000 participants et des auditions d’experts, offre l’occasion de revenir sur des notions de base, bien plus complexes qu’on ne le pense. Interroger l’articulation des temps de vie nécessite en effet en premier lieu de mieux comprendre ce qu’est le « temps de travail » et ce qu’est le « temps libre ».

 

Le temps de travail 

Le temps de travail comptabilisé

Ce rapport participe tout d’abord à balayer une idée reçue bien tenace : on ne travaille pas nécessairement moins en France qu’ailleurs.

La durée hebdomadaire légale y est effectivement inférieure aux autres pays, du fait des 35h. La durée négociée par accord pour les temps plein est en revanche légèrement supérieure : à 35,6h...comme en Allemagne. Enfin, la durée habituelle déclarée par les travailleurs à temps plein est nettement plus élevée : 39,1h, ce qui place la France devant le Danemark et la Norvège, proche de la Finlande et pas si loin de l’Allemagne.

 

Pays

Durée légale hebdomadaire

Durée hebdomadaire normale fixée par accord

Nombre moyen d’heures habituellement travaillées par salariés à plein temps (enquête par sondage)

France

35

35,6

39,1

Allemagne

48

35,6

40

Danemark

48

37

37,6

Finlande

40

37,5

39,2

Norvège

40

37,5

38,4

Suède

40

39,8

39,9

 

Finalement, la durée « habituelle » de travail est toujours inférieure à la durée légale, sauf en France. Le rapport avance plusieurs facteurs explicatifs :

  • les heures supplémentaires, qui sont fréquentes dans notre pays (elles concernent un ouvrier sur deux et 37 % des salariés hors forfait jours) et qui tendent à augmenter depuis 2020 ;

  • le forfait-jours, qui fait grimper la durée effective de travail hebdomadaire à 44,6h en moyenne pour les 13,3 % de salariés concernés (dont près d’un cadre sur deux).

Le CESE invite à cet égard les entreprises françaises à mieux évaluer la charge de travail, en intégrant notamment cette problématique aux entretiens professionnels.

 

D’autres études comparent également les pays sur la base du temps de travail annuel en décomptant les absences et les congés. Mais ici encore, malgré ses cinq semaines de congés payés, ses RTT et son taux d’absentéisme, la France n’a pas à rougir : avec 1668 heures de travail annuel effectif, elle se situe effectivement dans la tranche basse (durée inférieure à 1700h) mais au même titre que la Suède, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark. L’Allemagne (à 1792h) se situe dans une tranche médiane. C’est en Grèce, Bulgarie et Roumanie que l’on travaille le plus (durée supérieure à 1900h). Notons également qu’il existe des différences importantes selon les catégories socio-professionnelles : les cadres français travaillent ainsi 1850 heures par an en moyenne.

Et si on ajoute aux salariés à temps plein, ceux à temps partiel (dont la proportion est assez faible en France) et les indépendants (dont le temps de travail annuel dépasse les 2000h), notre pays devance l’Allemagne (1604h contre 1553h) et l’ensemble des pays du nord de l’Europe ! De quoi remettre les pendules à l’heure...

 

Le temps de travail ressenti

Mais le temps de travail ne se limite pas à celui de l’horloge et du calendrier : il dépend également de la manière dont il est vécu. Le rapport du CESE note ici une intensification progressive du travail, qui impacte les rythmes de travail[2]. Les enquêtes de la DARES[3] montrent que ce mouvement a débuté en 2005 puis s’est stabilisé à un niveau élevé en 2013 pour reprendre de plus belle avec la crise sanitaire.

La consultation menée par le CESE confirme ces analyses : 75 % des répondants ont l’impression que leurs journées de travail sont de plus en plus intenses depuis la crise sanitaire. Ce sentiment est particulièrement élevé chez les femmes et les personnes ayant des engagements importants en dehors de leur travail salarié (foyers monoparentaux, aidants, bénévoles).

S’il est beaucoup question depuis le télétravail de l’intrusion de la sphère professionnelle dans la vie personnelle, les activités hors travail peuvent également avoir un impact important sur le temps de travail ressenti. Leur articulation harmonieuse n’en devient que plus nécessaire.

 

Le temps libre 

Si le Code du travail définit clairement le temps de travail, ce n’est pas le cas du temps libre. Le CESE appelle ici la France à mieux le caractériser juridiquement en rappelant que « le droit au repos constitue un droit fondamental inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

Le temps libre n’apparaît en effet pour le moment qu’« en creux », par opposition au temps de travail effectif. Celui-ci renvoyant au « temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles », le temps libre serait donc celui où on peut « vaquer librement à ses occupations personnelles ». Cette vision très manichéenne n’est cependant pas satisfaisante : c’est en effet oublier que le temps hors travail n’est pas toujours du temps « libre », pour soi en tous cas. Il peut au contraire être très contraint, selon ses obligations personnelles et notamment sa situation familiale.

Le CESE souligne en particulier l’influence des inégalités de genre, qui pèsent sur le temps de repos des femmes mais également sur leur rémunération et leur carrière. Il alerte également sur l’aidance : une tendance de fond avec le vieillissement démographique « qui exige que de nombreux salariés dégagent du temps ». Le lieu et les conditions de vie peuvent aussi fortement impacter le temps dit « libre » et son articulation au temps de travail : « accès difficile à un logement proche du lieu de travail ; temps de transports importants ; situations de la vie qui préemptent le temps théoriquement disponible : familles monoparentales, aidants, personnes en situations de handicap, gestion du foyer, de sa santé et des tâches parentales, domestiques et administratives ; déficit de dispositifs de soutien à la parentalité disponibles à proximité du lieu de travail ou d’habitation ».

Mais ce temps soi-disant libre peut également être entravé par les « facilités que donnent les technologies de l’information et de la communication, qui rendent techniquement tout le monde joignable en tout temps et en tout lieu ».

 

« Le » droit à la déconnexion : 

Dans ce contexte le droit à la déconnexion (des outils numériques et plus globalement du travail) est une revendication largement partagée. Tout le monde n’aspire cependant pas aux mêmes modalités d’application : un clivage se dessine ici entre ceux qui souhaitent ne pas être dérangé pendant les horaires collectifs conventionnels (49%), et ceux qui préfèrent des horaires de connexion/déconnexion personnalisés (51%). La première catégorie est majoritairement composée de personnes de 26 à 35 ans, sans enfants (quelles soient célibataires ou en couple) et qui occupent des postes d’ouvriers, d’employés et de professions intermédiaires. La seconde compte d’avantage de personnes de plus de 56 ans, de foyers monoparentaux et de bénévoles, qui sont cadres ou indépendants.

 

Mais les ressentis peuvent également différer en fonction d’une myriade d’autres facteurs dessinant « une mosaïque de situations ». Le CESE encourage ainsi à opérationnaliser le droit à la déconnexion en prenant en compte les différentes situations personnelles selon les périodes de la vie.

Pour autant cette personnalisation de l’organisation du travail ne doit pas se faire au détriment du collectif pour les répondants. Celui-ci représente en effet une source de « soutien social » indispensable pour faire face à l’intensification du travail.

 

Émerge ainsi une « équation nouvelle » : davantage de liberté et d’autonomie dans l’articulation des temps de vie sans nuire au collectif de travail. Un exercice d’équilibriste où « le dialogue social et professionnel a toute sa place, y compris pour éviter une répartition inéquitable de la charge de travail et des droits de chacun ».

 


[1]   Conseil Économique, Social et Environnemental (2024). Articulation des temps de vie professionnels et personnel : de nouveaux défis ». https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2024/2024_06_articulation_temps_vie.pdf

[2]  Cette intensification se traduit notamment par l’imposition d’un rythme de travail par des machines ou des contraintes techniques ; des normes de production à satisfaire à court terme, des exigences du travail comme devoir se dépêcher, travailler sous pression, interrompre une tâche pour répondre à une demande urgente ; un faible degré d’autonomie.

[3]  Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques

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